Pourquoi le narcissique ne paie jamais

par | Nov 3, 2025 | Bien-Être | 2 commentaires

(03/11-2025) – On aime les histoires où le méchant paie à la fin. C’est propre, satisfaisant, moral. Hollywood nous a habitués à ce petit frisson de justice : le héros triomphe, le salaud tombe dans le vide, et tout le monde applaudit. Le générique défile, on se sent mieux. Sauf que dans la vraie vie, le générique, il ne vient pas. Et le méchant, lui, il s’en sort. Toujours. Le narcissique, surtout, semble doté d’un talent presque artistique pour échapper aux conséquences. Il détruit, ment, manipule, et repart en sifflotant. Et vous, vous restez là, hébété, à attendre la justice divine, le karma, le retour de bâton. Ne retenez pas votre souffle.

Ce fantasme de justice, c’est ce que le cinéma a gravé dans nos têtes. Dans les films, le bien et le mal sont clairs, le spectateur est du bon côté, et tout est logique. La justice arrive, parfois tard, mais elle arrive. Dans la réalité psychologique, rien n’est logique. Et le narcissique n’a pas besoin de logique. Il n’a même pas besoin de cohérence. Ce qui compte, c’est de gagner. Enfin, de donner l’impression qu’il gagne. Il se nourrit de la façade, de l’image, de la perception. Peu importe ce qui se passe derrière les rideaux, tant que le public applaudit.

Quand on a vécu une relation avec ce genre d’individu, on s’attend presque à une scène finale. On voudrait un moment où la vérité éclate, où tout le monde comprend enfin. Où les autres disent : « Ah, vous aviez raison depuis le début. » On attend l’applaudissement, la reconnaissance, le rachat. Et rien ne vient. Le monde continue de tourner, et lui continue de vivre, souvent même très bien. Il poste, il sourit, il charme d’autres personnes, il raconte d’autres histoires. Le mensonge s’étend, et vous, vous regardez ça, incrédule. C’est injuste, bien sûr. Mais l’injustice, c’est son territoire. Il y nage comme un poisson dans l’eau.

Le narcissique et la justice : un mariage impossible

La justice suppose des règles partagées. Le narcissique, lui, n’en reconnaît aucune. Il n’y a pas de loi morale dans son univers. Il n’y a que la victoire et la défaite, la domination et la soumission. La vérité ? Un outil parmi d’autres. Il l’utilise quand elle lui sert, il la tord quand elle l’arrange. Et si elle devient gênante, il la jette. Vous pouvez hurler la vérité sur tous les toits, montrer des preuves, raconter des faits : il trouvera toujours une manière de retourner la situation. C’est sa spécialité. C’est la réalitorsion à l’état pur : il transforme la réalité pour qu’elle lui soit favorable, et finit par convaincre même ceux qui ne devraient pas l’être.

C’est là que le piège se referme. Parce que tant que vous cherchez la justice dans son monde à lui, vous êtes perdu. Vous jouez avec ses règles, et il en change dès qu’il sent qu’il peut perdre. Vous cherchez la logique, il vous donne l’absurde. Vous cherchez la vérité, il vous balance des demi-mensonges habillés d’émotion. Vous cherchez la réparation, il vous accuse. Et vous finissez épuisé, vidé, à douter de votre propre perception.

Ce n’est pas un accident : c’est le cœur de son fonctionnement. Le narcissique vit dans un théâtre où il joue tous les rôles à la fois. Il est la victime, le héros, le juge et parfois même le bourreau repenti. Vous, vous n’êtes qu’un figurant de plus. Et si vous tentez de quitter la scène, il invente une suite. Vous croyez que l’histoire est finie, il rédige un nouveau chapitre sans vous prévenir.

Pourquoi il ne paie jamais

Parce qu’il n’y a pas de dette, du moins pas pour lui. Dans son esprit, il ne fait jamais de mal : il réagit, il se défend, il se protège. Si vous souffrez, c’est que vous l’avez mérité, provoqué ou mal compris. Il a toujours une justification prête, souvent pleine de belles phrases. « Je ne voulais pas te blesser », « tu es trop sensible », « j’ai fait ce que j’ai pu », « tu ne comprends pas ce que j’ai vécu ». C’est de la poésie tordue, mais efficace. Et autour de lui, les gens avalent ça comme des vérités.

La société, disons-le franchement, l’aide beaucoup. Les narcissiques savent paraître équilibrés. Ils savent pleurer au bon moment, se montrer charmants, parler avec assurance. Dans une salle d’audience, ils feraient de bons avocats — et souvent, ils n’ont même pas besoin d’un. Leurs victimes, elles, paraissent nerveuses, fatiguées, instables. Et devinez qui le monde croit ? Pas celui qui tremble en racontant, mais celui qui sourit calmement en niant.

On aimerait croire que le temps fait justice. Qu’un jour, les gens voient, comprennent. Certains, peut-être. Mais la plupart passeront à autre chose. Et lui continuera, simplement. Parce que dans son monde, la conscience morale n’existe pas. La honte, le remords, le sentiment de faute, ce sont des notions étrangères. Et sans ces freins, il n’y a rien à payer.

Le vrai prix, pourtant

Le narcissique ne paie pas sur le plan social ou judiciaire, c’est vrai. Mais il paie autrement. Pas avec des menottes, pas avec des amendes, mais avec le vide. Ce vide qu’il traîne partout, qu’il tente de combler sans jamais y arriver. Derrière les sourires forcés et les histoires réécrites, il n’y a rien. Pas de paix, pas d’attache réelle, pas de joie durable. Tout est façade, tout est emprunté. Le narcissique vit dans un décor en carton. Et plus il essaie de le faire briller, plus il se fissure.

La punition, elle est là. Invisible, lente, inévitable. Elle ne satisfait pas le besoin de justice de la victime, bien sûr, mais elle existe. Parce qu’à force de mentir, il ne sait plus qui il est. À force de manipuler, il n’a plus personne à aimer. À force de gagner, il n’a plus rien à vivre. La vie d’un narcissique est un éternel recommencement. Même film, nouveaux acteurs, même fin. Et le pire, c’est qu’il ne voit pas que c’est une punition. Il croit encore qu’il joue la comédie du succès.

La tentation du karma

On en parle souvent, du fameux “karma”. Cette idée que la vie s’équilibre, que tout finit par se payer. Et c’est rassurant, évidemment. Mais quand on regarde les faits, le karma n’a pas le sens moral qu’on voudrait lui donner. Des gens abominables vivent très bien, et des gens bien souffrent sans raison. Si vous comptez sur le karma pour faire le ménage, vous allez attendre longtemps. Le narcissique ne paiera pas de cette manière. Il n’y a pas d’univers qui tient les comptes à votre place.

Et pourtant, il y a une forme de rééquilibrage. Pas magique, pas cosmique, mais humain. À force de détruire, il finit seul. À force de mentir, il ne sait plus ce qu’est la confiance. À force de séduire, il devient transparent. Ce n’est pas un châtiment, c’est une conséquence. Pas spectaculaire, mais réelle. Le problème, c’est que vous, vous ne le verrez pas forcément. Parce que vous aurez cessé de regarder, ou parce qu’il se sera déjà trouvé un nouveau public.

Ce qu’il vous reste à faire

C’est là que la véritable justice commence : pas dans son monde, mais dans le vôtre. Tant que vous attendez qu’il paie, vous êtes encore lié à lui. Vous continuez de tourner autour du même centre, celui qu’il a imposé. Vous n’êtes plus sa victime directe, mais vous restez prisonnier de son scénario. Et c’est exactement ce qu’il veut : rester au centre, même de votre colère.

Il n’y a qu’une seule façon de sortir de ce cercle : cesser d’attendre la réparation extérieure. C’est injuste, oui. C’est rageant, oui. Mais c’est la seule manière de reprendre le contrôle. Vous ne pouvez pas le forcer à comprendre, à regretter, à changer. Vous pouvez seulement refuser de jouer encore.

C’est paradoxal : la vraie justice, c’est le détachement. Pas spectaculaire, pas hollywoodien, mais redoutablement efficace. À partir du moment où il ne vous atteint plus, où son nom ne provoque plus de montée d’adrénaline, où sa présence ne dicte plus votre humeur, il perd son pouvoir. Ce jour-là, sans procès, sans verdict, vous avez gagné.

Vous pouvez continuer à vous demander pourquoi le monde ne voit pas ce que vous avez vu, pourquoi il continue à séduire, à mentir, à s’en sortir. Ou vous pouvez vous dire qu’il n’y a rien à voir de plus. Que le spectacle est fini, et que vous avez autre chose à vivre.

Voici ce que vous pouvez retenir :

  • Le narcissique ne reconnaît aucune faute parce qu’il vit hors des règles communes.
  • Chercher la justice dans son monde, c’est jouer selon ses règles.
  • Sa punition, c’est le vide qu’il porte.
  • Votre justice, c’est de lui retirer votre attention.

Oui, c’est frustrant. On voudrait que la balance penche enfin du bon côté, que le monde soit juste, que les méchants tombent. Mais la vie, contrairement aux films, ne se soucie pas de morale. Alors autant écrire votre propre fin.

L’autre justice

Il y a des justices invisibles. Celles qu’on ne filme pas, qu’on ne raconte pas, parce qu’elles ne font pas de bruit. C’est celle-là qu’il faut viser. Quand vous cessez de vous défendre contre lui, quand vous ne cherchez plus à prouver, à convaincre, à exposer, vous sortez du jeu. Vous quittez la scène pendant qu’il continue à jouer devant un public qui s’en lasse. Et dans ce silence, il perd son miroir.

Ne pas chercher à se venger, ce n’est pas le pardonner. C’est le rendre insignifiant. Le narcissique veut être votre obsession, même en négatif. Il veut que vous brûliez d’injustice, que vous parliez encore de lui, que vous attendiez encore. Le vrai triomphe, c’est l’oubli.

Le jour où vous le regardez sans émotion, c’est fini. Pas pour lui, pour vous. Il continuera à mentir, à manipuler, à jouer, bien sûr. Mais il ne vous aura plus. Et dans sa logique tordue, c’est une défaite totale.

Il ne paiera jamais de la façon dont vous l’espérez. Mais il paie, à sa manière, chaque jour, en vivant une vie sans fond. Une existence creuse, brillante en surface, mais sans racine. Vous, vous avez la possibilité de reconstruire, de comprendre, de sentir. Lui, non. Il ne fait que répéter.

Alors non, le narcissique ne paie jamais. Pas au sens où on l’entend. Mais il vit avec sa propre sentence : l’impossibilité d’aimer, d’apprendre, d’évoluer. Une éternelle condamnation sans prison ni juge. Et si on y pense bien, ce n’est pas si mal comme justice. (Cyril Malka)

Commentaires

2 Commentaires

  1. Sido

    Fabuleusement bien rédigé, merci Cyril.

    Réponse
    • cyrilmalka

      Merci beaucoup, Sido. Et heureux de vous retrouver ici 🙂

      Réponse

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