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(13/03-2025) – Aujourd’hui, je souhaite vous parler d’une forme de manipulation psychologique particulièrement pernicieuse que vous avez probablement vécue si vous avez été en relation avec une personne narcissique. Qu’il s’agisse d’un membre de votre famille ou d’un partenaire, cette expérience laisse des traces profondes et durables.
En anglais, on utilise l’expression « gaslighting » (littéralement « éclairage au gaz »), terme issu d’un film des années 40 où un homme manipule sa femme au point de lui faire croire qu’elle perd la raison. Mais en français? Comment nommer cette manipulation qui consiste à déformer la réalité de l’autre? J’ai donc créé un néologisme, un mot-valise qui combine « réalité » et « distorsion »: la réalitorsion.
Ce terme exprime bien mieux que sa traduction littérale ce dont il s’agit réellement. Après tout, parler « d’éclairage au gaz » n’aurait strictement aucun sens pour un francophone! Peut-être que d’autres ont déjà eu cette idée avant moi, mais c’est le terme que j’utiliserai désormais pour décrire cette forme insidieuse de manipulation.
La réalitorsion, c’est le déni de la réalité imposé à une autre personne. Ce déni peut prendre plusieurs formes:
Cette forme de manipulation est d’autant plus destructrice qu’elle s’attaque à votre perception fondamentale de la réalité. Et un des aspects les plus déroutants de la réalitorsion, c’est le contraste saisissant entre le comportement public et privé du narcissique.
Voici le scénario classique que vous connaissez probablement par cœur si vous avez côtoyé un narcissique:
En tête-à-tête, c’est l’invalidation constante, la dévalorisation, la manipulation, le mensonge, la critique, la colère, voire la rage. Vous marchez sur des œufs, tentant désespérément d’éviter le prochain éclat.
Puis, comme par magie, dès que vous vous retrouvez en présence d’autres personnes – amis, famille, collègues – cette même personne se métamorphose en l’être le plus charmant du monde. Elle se souvient du prénom de chacun, tire les chaises pour les autres, aide les personnes âgées, paie l’addition pour tout le monde, distribue les compliments comme des confettis.
Et vous restez là, bouche bée, comme si vous veniez de traverser un portail vers une dimension parallèle. « Mais il est formidable en fait! Comment ai-je pu penser tant de mal de lui? » Vous commencez même à vous remettre en question: « J’ai peut-être des standards trop élevés? Je cherche toujours à saboter mes relations? »
Ce sentiment est renforcé quand vos proches vous disent: « Oh là là, quelle chance tu as d’être avec quelqu’un d’aussi gentil/attentionné/intelligent! » (Insérez ici le rire sarcastique de votre choix.)
Puis, vous rentrez chez vous, encore porté par cette énergie positive. Mais à peine la porte franchie, le visage qui vous regarde n’est plus le même. L'empathie, la chaleur, le charme… tout a disparu. Vous voilà face à un regard méprisant, froid, voire absent.
Et vous vous demandez, légitimement déboussolé: « Mais qu’est-ce qui est réel? »
Ce que beaucoup ne comprennent pas, c’est que ce va-et-vient, ce chaud et froid, représente l’architecture même de la relation narcissique. Notre erreur est de continuer à placer le comportement du narcissique dans une grille de lecture « névrosée-normale » (comme j’aime l’appeler). Nous cherchons une cohérence là où il n’y en a pas.
La relation narcissique, c’est toujours « deux pas en avant, trois pas en arrière ». Et à cause de la dissonance cognitive que cela provoque, nous avons tendance à nous concentrer uniquement sur les « deux pas en avant ». Nous occultons les « trois pas en arrière », trop douloureux à intégrer. Résultat? La distance émotionnelle entre vous et le narcissique ne cesse de s’accroître, à votre insu.
Cette dynamique est particulièrement déstabilisante car elle exploite une tendance humaine naturelle: notre mémoire est sélective et tend à valoriser les expériences positives au détriment des négatives. C’est un mécanisme de survie psychologique, en quelque sorte. Mais dans le contexte d’une relation abusive, cette tendance devient notre pire ennemie.
Imaginez que vous soyez dans un bateau qui prend l’eau. À chaque vague, un peu plus d’eau entre. Mais de temps en temps, quelqu’un vient écoper quelques litres. Vous êtes tellement soulagé par ces moments d’écoperment que vous ne remarquez même plus que le niveau global continue de monter inexorablement. Chaque « bon moment » devient une bouée à laquelle vous vous accrochez désespérément, ignorant que vous dérivez toujours plus loin du rivage.
Et comme vous vous souvenez principalement des moments positifs (ces fameux « pas en avant »), il devient facile de vous culpabiliser: « Comment puis-je être insatisfait alors qu’il/elle fait tant d’efforts? » Vous finissez par vous sentir ingrat, exigeant, difficile à satisfaire. « Personne n’est parfait », vous répétez-vous. « Je devrais me contenter de ces moments où tout va bien et accepter le reste. »
Contrairement à ce que certains pensent, il ne s’agit pas d’un simple bouton « on/off » que le narcissique activerait à sa guise. Non, la réalité est plus complexe et plus troublante.
Le narcissique n’est pas fondamentalement différent en public et en privé. Ce qui change, c’est la source de son « approvisionnement narcissique » (cet apport d’admiration et de validation dont il a désespérément besoin).
En public, il obtient cet approvisionnement par son charme, sa générosité ostensible, son « numéro » bien rodé. Puis, une fois seul avec vous, il évacue la tension accumulée et régule sa honte… en vous attaquant.
Car voici la clé: vous stimulez sa honte par votre simple proximité. La personnalité narcissique a une aversion profonde pour l’intimité authentique, la profondeur émotionnelle, l'empathie véritable. Ces qualités, qu’elle méprise au fond d’elle-même mais dont elle a besoin pour paraître « normale », elle les projette sur ses proches – partenaires, enfants – pour mieux les dénigrer.
Imaginez un sprinter: le narcissique peut courir très vite (charmer, séduire) sur une courte distance, mais il s’épuise rapidement. Il ne peut maintenir le masque indéfiniment. Et c’est généralement sur le trajet du retour, une fois la performance sociale terminée, que le masque tombe.
Pour ceux qui ont grandi dans une famille narcissique, ce schéma est terriblement familier: des parents adorables en public, cruels et invalidants en privé. L’enfant devient alors « l’ingrat », le « mal élevé » qui ne sait pas reconnaître sa chance d’avoir des parents aussi « formidables ».
En réalité, ces parents obtenaient leur approvisionnement narcissique de leur entourage social, puis transformaient leurs enfants en punching-balls émotionnels (parfois même physiques) pour réguler leurs émotions négatives.
Quelle façon désorientante et terrible de grandir! Ce cycle – charmant en public, abusif en privé – est l’essence même de la réalitorsion. Il vous pousse à remettre constamment en question votre perception de la réalité. « Il était si gentil avec tout le monde… sauf avec moi. Le problème doit donc venir de moi. »
Avec le temps, ces relations vous rendent anxieux, confus, rempli de doutes, impuissant, désespéré. Vous perdez pied dans la réalité. « Qui est-il vraiment? Est-ce moi qui ne comprends pas? Suis-je injuste? »
Si vous êtes témoin de cette dynamique de l’extérieur – peut-être êtes-vous l’ami d’une personne qui souffre dans une relation narcissique – il est crucial de comprendre: vous et votre ami ne connaissez pas la même personne.
Vous connaissez le côté public, grandiose, charmant. Votre ami connaît l’autre face, celle qui reste cachée au monde. Il est essentiel que vous acceptiez ce contraste sans juger.
Ne dites jamais: « Pourtant, je le trouve gentil, moi! » Franchement, on s’en moque éperdument que vous le trouviez gentil. La personnalité narcissique n’interagit pas avec vous de la même façon qu’avec son partenaire ou sa famille. Reconnaissez qu’il existe véritablement deux masques, deux visages, et que votre ami est piégé avec celui que vous ne voyez jamais.
Si vous vous sentez constamment confus, désorienté, c’est précisément parce que votre réalité est mise à l’épreuve quotidiennement. D’un côté, vous savez que la relation est toxique. De l’autre, vous observez cette même personne se comporter de façon exemplaire en société.
Cette contradiction ne fait pas que vous désorienter – elle réduit considérablement le soutien que vous pourriez obtenir de votre entourage. Car les autres croiront plus volontiers la version du narcissique que la vôtre. C’est assez stupéfiant de voir combien de gens peuvent être « achetés » par quelqu’un qui paie simplement l’addition au restaurant. Mais c’est ainsi: ils voient la générosité, la chaleur apparente, et en déduisent que le problème vient forcément de vous.
D’autant que, ironie suprême, plus vous restez dans cette relation toxique, plus vous devenez anxieux, dépressif, parfois même physiquement malade (j’en reparlerai dans un autre article). Et aux yeux du monde, cela ne fait que confirmer la « théorie »: « Il a vraiment du mérite à rester avec quelqu’un d’aussi négatif/malade/plaintif… » La boucle est bouclée, la réalitorsion a parfaitement fonctionné.
J’espère que cet article vous aura permis de mieux comprendre ce mécanisme de réalitorsion, que vous soyez directement concerné ou que vous connaissiez quelqu’un dans cette situation.
L’essentiel à retenir:
Maintenant, parlons des premiers pas vers la guérison. Car oui, on guérit de la réalitorsion, même si le chemin peut sembler long et ardu au début.
L’une des premières stratégies que je recommande à mes patients est de tenir un journal. Ce n’est pas un conseil banal – dans le contexte de la réalitorsion, un journal devient littéralement votre ancre dans la réalité. Notez les événements, les conversations, les comportements problématiques dès qu’ils se produisent. Quand le doute s’installe (et il s’installera), vous aurez une trace écrite de ce qui s’est réellement passé.
Cette pratique est particulièrement efficace pour contrer ce que j’appelle « l’amnésie induite par le stress ». Sous l’effet du stress chronique que provoque une relation avec un narcissique, votre mémoire devient moins fiable. Écrire permet de contourner ce phénomène.
Le narcissique a probablement tenté (avec plus ou moins de succès) de vous isoler ou de vous discréditer auprès de votre entourage. Il est temps de reconstruire des ponts, mais avec discernement.
Identifiez les personnes qui ont fait preuve d'empathie et de compréhension par le passé. Approchez-les progressivement, sans nécessairement tout révéler d’un coup. Testez les eaux, sentez qui est réellement prêt à vous écouter sans jugement.
Et surtout, n’hésitez pas à chercher de l’aide professionnelle. Un psychologue formé aux dynamiques des personnalités toxiques peut vous offrir cette validation dont vous avez cruellement besoin, et qui fait souvent défaut dans votre entourage immédiat.
C’est peut-être le défi le plus difficile: après des mois ou des années de réalitorsion, comment faire à nouveau confiance à vos ressentis, vos émotions, vos souvenirs?
Commencez petit. Affirmez votre perception sur des choses triviales, puis progressivement sur des sujets plus importants. « Oui, il fait froid aujourd’hui. » « Non, ce plat n’est pas à mon goût. » Ces affirmations simples peuvent sembler insignifiantes, mais elles sont les premiers pas vers la réappropriation de votre réalité.
Accordez-vous aussi le droit à l’erreur. Une partie de la guérison consiste à comprendre que même les personnes en bonne santé psychologique se trompent parfois dans leurs perceptions. La différence? Elles ne remettent pas en question l’ensemble de leur jugement pour autant.
Si vous êtes témoin extérieur de cette dynamique, souvenez-vous: n’invalidez pas l’expérience de la personne qui souffre. Laissez-lui de l’espace, ne la contredisez pas, et acceptez qu’il puisse s’agir de réalitorsion. Votre simple écoute sans jugement peut être le premier rayon de lumière dans sa nuit de confusion.
Et si vous êtes vous-même pris dans cette toile d’araignée, sachez que nommer ce phénomène est déjà un premier pas vers la libération. La réalitorsion ne peut fonctionner pleinement que dans l’ombre, lorsque vous ignorez son existence. Maintenant que vous savez, maintenant que vous pouvez mettre un mot sur cette expérience, son emprise sur vous a déjà commencé à diminuer.
La route sera peut-être longue, mais vous avez déjà fait le pas le plus difficile: reconnaître que le problème n’est pas vous, mais bien la distorsion de réalité qu’on vous impose. Et croyez-moi, c’est le début d’une nouvelle vie – une vie où votre perception de la réalité vous appartient pleinement à nouveau.
Souvenez-vous que j’ai mon programme de guérison si vous êtes dans une relation narcissique ou si vous en êtes sorti. Il est ici: https://revivre.club (Cyril Malka)
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