(07/11-2024) – « Je crois que c’est moi qui suis narcissique ». Cette phrase revient régulièrement en consultation. Je l’entends après des mois, voire des années de relation avec une personne narcissique. Elle surgit après une dispute où, pour la première fois, la personne a osé s’opposer à son partenaire qui l’a immédiatement accusée de narcissisme. Elle apparaît chez des enfants devenus adultes, qui commencent à remettre en question la dynamique familiale toxique.
Le simple fait de s’interroger sur son narcissisme indique souvent qu’on ne l’est pas. Cette capacité d’introspection, cette inquiétude de pouvoir blesser l’autre, sont précisément ce qui manque aux véritables personnalités narcissiques.
Le narcissisme pathologique se caractérise par une absence de remise en question. La personne narcissique ne se demande pas si elle pourrait être le problème. Elle est convaincue que le problème vient toujours des autres. Cette certitude est ancrée si profondément qu’elle ne peut être ébranlée, même face aux preuves les plus évidentes.
La manipulation narcissique opère par étapes. D’abord, la personne narcissique crée un climat d’insécurité émotionnelle. Un jour, elle couvre son partenaire d’attention, le lendemain, elle le dénigre. Un parent narcissique alterne entre moments de complicité intense et périodes de rejet total. Cette instabilité érode progressivement la confiance en soi.
Vient ensuite la phase d’accusation en miroir. La personne narcissique projette ses propres traits sur l’autre. Quand une mère narcissique accuse son enfant d’être « égoïste » pour avoir exprimé un besoin légitime, elle projette son propre égoïsme. Un partenaire narcissique qui accuse constamment l’autre d’infidélité révèle souvent ses propres tendances.
Le doute s’installe progressivement. Une réaction émotionnelle ponctuelle, comme s’énerver après une longue attente, devient dans notre esprit la preuve d’une personnalité défaillante. Cette généralisation est renforcée par la personne narcissique qui transforme chaque incident isolé en trait de caractère.
Le contexte disparaît progressivement. Nous oublions les circonstances qui ont provoqué notre réaction pour ne retenir que la réaction elle-même. Une employée qui défend son travail devient « arrogante ». Un adolescent qui réclame de l’intimité devient « égocentrique ».
L’exposition prolongée à une relation narcissique modifie notre rapport à nous-mêmes. Nous développons une hypervigilance émotionnelle. Chaque réaction, chaque émotion devient suspecte. Cette surveillance constante épuise et renforce les doutes.
Les comportements d’affirmation de soi normaux paraissent problématiques. Exprimer un besoin, poser une limite, ressentir de la colère face à une injustice : toutes ces réactions saines deviennent sources de culpabilité. Nous intériorisons l’idée que prendre soin de soi équivaut à négliger l’autre.
Une personnalité narcissique présente des caractéristiques stables et envahissantes. L’absence d'empathie n’est pas occasionnelle mais systématique. La personne narcissique ne peut pas se mettre à la place de l’autre, non par choix, mais par incapacité fondamentale.
Les relations sont exclusivement transactionnelles. Chaque interaction doit apporter un bénéfice immédiat en termes d’image ou de pouvoir. Le besoin de validation n’est pas une simple préférence mais une nécessité vitale. Sans l’admiration constante des autres, la personne narcissique s’effondre.
Les séquelles d’une relation narcissique persistent bien après la fin de la relation. Au niveau professionnel, une personne ayant vécu avec un parent narcissique peut systématiquement douter de ses compétences, refuser des promotions, s’excuser constamment. Dans sa vie sociale, elle peut développer une peur paralysante du jugement, s'empêchant de prendre la moindre initiative.
Les relations amoureuses futures sont particulièrement affectées. La personne peut alterner entre périodes de dépendance totale et phases de retrait complet. La moindre critique, même constructive, peut déclencher une anxiété intense. La capacité à faire confiance est profondément altérée.
La relation au corps change également. Certaines personnes développent des troubles alimentaires, d’autres une obsession du contrôle de leur apparence. Ces comportements reflètent une tentative de reprendre le contrôle sur leur vie.
Le plus insidieux dans les relations narcissiques est leur tendance à se reproduire à travers les générations. Non pas que les victimes deviennent narcissiques, mais elles peuvent inconsciemment reproduire certains schémas appris.
Une mère ayant grandi avec une mère narcissique peut surprotéger ses enfants, les étouffant par peur de reproduire la négligence émotionnelle qu’elle a subie. Un père peut avoir du mal à poser des limites, craignant de ressembler au parent autoritaire qu’il a eu.
Cette transmission se manifeste aussi dans le choix des partenaires. Sans travail thérapeutique, il est fréquent de reproduire des dynamiques familiales toxiques dans ses relations amoureuses. Les signes avant-coureurs ne sont pas reconnus car ils semblent « normaux », familiers.
Les enfants de personnes ayant subi des abus narcissiques peuvent également être affectés, même sans contact direct avec le parent narcissique. Ils apprennent des modèles relationnels déformés : la peur de l’abandon, la difficulté à exprimer des besoins, la confusion entre amour et contrôle.
Notre psyché développe des défenses face à la manipulation narcissique. Le doute perpétuel devient paradoxalement une protection. En questionnant constamment nos perceptions, nous évitons d’affronter la réalité douloureuse de la relation toxique.
La culpabilité excessive constitue une autre défense. En assumant la responsabilité des problèmes relationnels, nous maintenons l’illusion de contrôle. Cette illusion est préférable à l’impuissance face à un proche toxique.
La reconstruction commence par la reconnaissance de nos émotions comme légitimes. Cette étape est particulièrement difficile après une relation narcissique, car nous avons appris à nous méfier de nos ressentis.
La guérison implique de réapprendre à distinguer les comportements sains des comportements toxiques. La colère face à l’injustice n’est pas du narcissisme. Le besoin de reconnaissance n’est pas de l’égocentrisme. La fatigue émotionnelle n’est pas un manque d'empathie.
La prochaine fois que le doute vous assaille, rappelez-vous : les personnes narcissiques ne se posent pas ce genre de questions. Votre capacité à vous remettre en question, aussi douloureuse soit-elle, est précisément ce qui vous différencie d’elles.
Ces pensées qui vous tourmentent, ces moments où vous vous demandez si vous êtes une personne toxique, sont paradoxalement la preuve que vous ne l’êtes pas. La vraie question n’est pas « suis-je narcissique ? », mais « qui bénéficie de me faire croire que je le suis ? ». (Cyril Malka)
La liste de diffusion
Cliquez sur le bouton pour vous inscrire à ma liste diffusion pour recevoir un message lorsque je mets un nouveau texte ou une nouvelle en ligne.
Vanessa Simon says:
Bien récu. Merci.