(20/10-2014) – Nous avons une tendance à mélanger les notions lorsque nous parlons d’amour. Nous le désirons, et nous croyons à tort que nous en avons besoin. Mais en vérité rien ne prouve qu’on a besoin d’amour.
Il renifle
– Oui, c’était horrible. Mes parents se foutaient totalement de moi. Ils étaient plus intéressés à leurs affaires, à gagner de l’argent et à sortir en ville avec leurs amis, et personne ne s’est occupé de mes besoins.
– Quels besoins ?
– Ben… euh! Le besoin d’amour. Je n’ai tout simplement pas eu suffisamment d’amour pendant ma jeunesse. C’est pour ça que je le recherche constamment. C’est aussi ce que mon psychologue m’a dit, à l’époque. Mais vous savez tout ça, n’est-ce pas ?
– Que voulez-vous dire par là ?
– Ben… Oui… Je veux dire : L’Homme a besoin d’amour ou alors il meurt. On a fait des expériences avec ça.
– Non, non ! L’Homme n’a pas du tout besoin d’amour. Ceci est une légende urbaine. Rien ne prouve que l’amour est un besoin.
Très souvent, mes patients annoncent ce genre de vérité toute faite et ce genre de point de vue. Ce sont des convictions dans lesquelles nous nous vautrons chaque jour. Et, si on y regarde bien, c’est souvent ce genre de convictions qui poussent les gens dans les sectes. Mais rien, absolument rien ne prouve que ceci est vrai.
Nous avons la conviction que nous avons besoin d’amour. On nous dit que nous avons besoin d’être aimés, et si ce besoin n’est pas satisfait, nous en mourrons. All You Need is Love (tout ce dont tu as besoin, c’est de l’amour) chantaient The Beatles à la fin des années soixante, et beaucoup de films, de dessins animés et de livres traitent ce sujet et prennent ce principe comme étant une vérité sans même y réfléchir.
D’après ce principe, si nous ne trouvons pas l’amour parfait, solide et infini, nous sommes des ratés.
Ce point de vue influence beaucoup de monde et les rend égoïstes.
Aucun fait ne peut être avancé prouvant que l’Homme a besoin d’amour.
L’Homme est capable d’aimer, c’est correct, et l’Homme désire l’amour, ce qui est correct également, mais l’Homme peut très bien vivre sans amour ! L’amour n’est pas un besoin comme l’oxygène, l’eau ou la nourriture. On peut très bien vivre sans amour.
Il est exact qu’il y a cette expérience faite avec des bébés. Ces bébés furent laissés sans contact humain autre que le contact nécessaire pour les nourrir, les changer et leur donner à boire. Beaucoup de ces bébés sont morts.
Il y a eu plusieurs expériences de ce genre et la plus connue est celle effectuée au XIIIe siècle sous l’empereur Frédéric II du Saint-Empire (1194 – 1250).
De ces expériences, on a conclu : Si les bébés ne reçoivent pas d’amour, ils meurent. Et plus tard, l’assertion a évolué pour devenir : si l’Homme ne reçoit pas d’amour, il meurt.
Mais il y a quelques détails que nous n’avons pas remarqués, là : d’abord, tous les bébés ne sont pas morts. Si l’amour était un besoin tout comme l’eau ou la nourriture, ils seraient tous morts.
Deuxièmement, lors d’une de ces expériences, un des enfants ayant survécu fut celui qui était placé près de la porte. Il y avait plus de contact sur ce lit-là, car l’infirmière après son travail s’asseyait sur ce lit avant de sortir. Bien qu’elle ne parle pas avec le bébé, c’était un contact suffisant.
La chose importante qui nous échappe dans ce cas est que le besoin qu’ont les bébés est le besoin que leur existence soit reconnue. Qu’on voit qu’ils sont là ! En bref : que l’on reconnaisse leur existence ! C’est seulement au travers de ça qu’ils peuvent eux-mêmes se voir comme non symbiotiques, mais comme êtres indépendants et commencer à comprendre qu’ils existent.
En gros, si on ne leur donne pas de contact, ils ne se rendent pas compte qu’ils existent et cessent d’exister.
Plus tard, une fois devenus des êtres indépendants, le manque d’amour ne tue absolument personne.
Si l’homme avait besoin d’amour, alors la haine nous tuerait, ce qui n’est pas le cas. Ce qui nous tue, c’est l’indifférence. C’est à dire non le manque d’amour, mais le manque de reconnaissance de notre existence.
C’est ceci qui est un élément qui tue les exclus des témoins de Jéhovah (voir les textes par rapport à l’exclusion dans la partie “sectes” de ce site), et c’est cet élément qui a tué les bébés dans cette expérience : l’indifférence !
Nous savons tous comment nous nous ressentons lorsque nous sommes ignorés ! Nous savons tous également comment nous réagissons si nous voulons gêner quelqu’un (le voisin, par exemple) : nous arrêtons de lui dire bonjour, nous notifions de cette manière qu’il n’existe plus. Cette personne nous est égale. Elle est morte. Elle n’attire même plus notre attention. Il est bien pire d’être ignoré que d’être haï.
Mais l’Homme est capable d’amour, me dira-t-on. Donc aimer doit avoir un sens ? Ce qui est tout à fait exact. Je suis tout à fait d’accord. L’Homme est capable d’aimer. Mais parce que nous sommes capables d’aimer, ceci ne veut pas dire que nous avons besoin d’être aimés ! Ce sont deux choses totalement différentes.
L’une est d’aimer quelque chose ou quelqu’un, l’autre est d’aimer quelqu’un afin de recevoir de l’amour ! Dans ce cas, je n’aime pas vraiment l’autre, mais j’agis de façon égoïste et je suis seulement intéressé dans l’amour que je reçois. Nous pourrions dire qu’il y a des rentes sur l’amour que je donne. C’est du donnant donnant !
Ayant ce point de vue, il est très facile de comprendre pourquoi nous avons autant de mal à tendre l’autre joue et à aimer nos ennemis ! Dans ce cas, nous devrions être de ceux qui donnent sans recevoir, et nous ne voulons pas faire ça !
Cette idée fixe, cette croyance que nous avons besoin d’amour est en fin de compte à la base de bien des malheurs !
Les enfants ne sont pas toujours heureux dans notre société. Et il y a plusieurs raisons à cela. L’une d’elles est que les enfants au départ ne donnent pas d’amour ! Ils ont des besoins auxquels il nous faut subvenir : nourriture, boisson, sommeil, sécurité, reconnaissance… C’est seulement après un bon bout de temps que l’enfant commence à être capable d’aimer.
Le problème est donc que l’enfant est, au départ, un petit égoïste et il n’est pas suffisamment reconnaissant de tout ce que nous faisons pour lui. Les parents ressentent des fois qu’ils ne sont pas récompensés du mal qu’ils se donnent pour cet enfant.
Avant tout, il n’y a aucune loi dans l’univers disant qu’ils doivent recevoir une récompense. C’est un fait, dans la Bible, il est écrit qu’il faut honorer son père et sa mère, mais ce n’est pas la même chose que de les aimer.
En gros, les enfants n’ont pas le devoir d’aimer leurs parents. Les parents n’ont pas non plus le devoir d’aimer leurs enfants, remarquez. Ils ont le devoir de s’en occuper et de les élever. Que ce soit avec ou sans amour.
De plus, très souvent, les remerciements, s’ils arrivent, arrivent très tard, et peut-être même d’une tout autre manière que celle attendue par les parents. C’est tout simplement comme ça que ça marche.
Peut-être même que le remerciement escompté n’arrivera jamais. Encore une fois, ce n’est pas le devoir de l’enfant d’aimer ou de remercier ses parents après coup.
Mais “vouloir être aimé » n’est pas la raison pour laquelle on a des enfants. Du moins, je l’espère ! Alors pourquoi est-ce si important que nos enfants nous apprécient de cette manière ?
C’est presque le même problème que celui que je vois chez les couples : si l’un des deux n’apprécie pas suffisamment le travail de l’autre, le sacrifice de l’autre, les problèmes commencent. Ceci vient tout simplement qu’on vient de faire quelque chose, non pour faire plaisir à l’autre, mais pour être apprécié, aimé, confirmé, vu… C’est-à-dire qu’on n’a pas fait cette chose pour donner, mais pour recevoir.
J’ai également vu ce symptôme chez des gens qui se sacrifiaient beaucoup. Ils donnent tout, ils font tout, ils sacrifient tout… Mais ils en attendent en vérité pas mal aussi ! Gratitude, admiration, honneur et beaucoup d’autres choses encore. C’est-à-dire que tout ceci n’est pas gratuit non plus. Et tout le monde perd à ce jeu.
Enfin, il y a un problème plus linguistique.
Le problème est que lorsqu’on demande cet amour, on ne peut éviter d’être déçu. Tout simplement pour la bonne raison que le monde est grand, froid et insouciant. Et qu’il n’est écrit nulle part que le monde doit être un endroit agréable où vivre ! Le monde n’est autre que ce que nous en faisons. Donc, se plaindre que la vie est dure, injuste ou autre est environ aussi efficace que se plaindre de la pluie pendant les vacances.
Lorsqu’on croit qu’on a besoin d’être aimé, on va essayer de couvrir ce besoin par son conjoint, ses collègues de travail, son entourage, sa paroisse, son assistante sociale, la ville, l’état, la société ou le monde.
Bien entendu, ce besoin ne sera jamais couvert. À part dans une secte où l’on est presque dans une famille et on a une garantie à l’attention… Tant qu’on respecte les règles.
Comme on le voit ici : le prix est atrocement haut !
J’ai souvent vu des gens en thérapie, parce qu’ils n’ont pas « eu suffisamment d’amour durant leur enfance », et ils essayent maintenant, conformément aux saints écrits psychologiques à couvrir leur besoin.
Alors ils commencent en thérapie, et on leur donne de l’attention et de l’amour, et de cette manière, on les a en analyse pendant vingt-cinq ans !
Toute cette notion est ce que j’appelle être un cornichon d’amour ! (voir mon texte: êtes-vous un cornichon d’amour, ici)
Tout ce principe vient de ce que beaucoup de gens ont une tendance à mélanger deux notions importantes… Pour être franc, nous avons une tendance à mélanger plusieurs notions, je vais donc vous proposer de les prendre l’une après l’autre !
Les premières notions que nous mélangeons est la différence entre désirer et avoir besoin. Très souvent, nous mélangeons ces deux choses.
Prenons un exemple :
Je suis avec mon fils dans un magasin de jouets, et je lui ai promis un jouet.
Mon fils voit un super-robot à trois cents euros :
”- Ho, papa ! Super ! C’est ça que je veux! »
« – Non, tu sais quoi, Danni, il est trop cher, trouve quelque chose d’autre. »
Que se passe-t-il maintenant si l’enfant commence à crier, pleurer qu’il veut ce robot ?
Ce qui va se passer est sûrement que je vais tenir un discours pour mon fils, dans lequel je vais lui expliquer que dans la vie, on n’a pas toujours ce qu’on veut, que c’est comme ça, que nous n’avons pas trois cents euros à mettre dans un jouet, et qu’il lui faudra choisir autre chose. Il peut éventuellement faire des économies pour se payer ce jouet et que s’il n’est pas content, il lui faudra se passer de jouet cette fois.
Point de vue pédagogie, c’est la bonne chose à faire et la plupart des parents seront d’accord avec moi.
Très bien. Voyons un autre scénario :
Je me promène dans la rue et dans une vitrine, je vois un super-ordinateur. J’aimerais bien avoir cet ordinateur, mais je n’en ai pas les moyens. Que fais-je alors ?
Exactement ! J'emprunte l’argent à la banque, j’achète à crédit, j'emprunte à un ami…
Avant d'emprunter, je vais même être obligé de trouver de bonnes raisons que j’utiliserai vis-à-vis de la banque, de mes amis pour expliquer pourquoi j’ai besoin de cet ordinateur. Nous ne parlons plus d’un souhait maintenant, mais d’un besoin.
Ce brillant principe pédagogique que j’utilisais par rapport à mon fils, je ne le tiens pas moi-même. L’enfant remarquera tôt ou tard que papa dit quelque chose, mais fait autre chose.
Je considère mes souhaits comme étant des besoins qui doivent être absolument couverts.
C’est la même chose avec l’amour. Je le souhaite, mais je crois en avoir besoin. Et c’est une hypothèse erronée.
Pour justifier cette hypothèse, je suis prêt à trouver des raisons expliquant mon état d’âme. Je pourrais même trouver des analyses que j’interpréterai de manière à pouvoir me creuser plus profondément dans ma tranchée. Le pire est que je resterai dans cette tranchée jusqu’à ce quelqu’un m’en tire à coups de pied.
En gros, je transforme mes désirs en besoins.
Recevoir de l’amour est un désir (qui est plus ou moins important chez chaque individu), mais ce n’est pas un besoin.
L’autre chose que nous mélangeons est l’amour et l’attention.
Trop souvent nous ne sommes pas capables d’être attentionnés envers les personnes que nous n’aimons pas. L’idée même de se comporter poliment ou gentiment envers une personne que nous ne pouvons pas sentir est loin de nous. Nous préférerons trouver des raisons pour expliquer pourquoi nous nous comportons de cette manière plutôt que de changer notre manière d’être.
En commençant à nous comporter poliment et gentiment envers eux, nous avons un peu peur de les voir sous un autre angle à un moment donné. Ceci voudra donc dire que nos préjugés sont faux, et nous préférons ne pas reconnaître ça.
Enfin nous confondons souvent se détacher de soi même et se dénier. Nous avons une plus grande tendance à nous dénier. C’est-à-dire que nous pourvoyons aux besoins et aux souhaits des autres au détriment des nôtres. Le prix étant que la partie qui reçoit doit nous rendre ce service un autre jour.
Lorsqu’on se détache de soi, on se dévoue à une autre personne, on donne quelque chose à 100%. Mais nous ne ressentons pas qu’il nous manque quelque chose, nous ne donnons pas quelque chose dont nous avons besoin. Et de cette manière, si nous ne ressentons pas qu’il nous manque quelque chose, nous ne ressentons pas qu’ils nous doivent quelque chose, car à l’intérieur de nous-mêmes nous n’avons pas besoin de l’amour des autres, de l’attention des autres et de leur approbation. Nous nous suffisons. Et il est donc plus aisé de donner sans recevoir.
Le truc n’est pas tant de penser à ce que nos actions nous donneront, mais plutôt de faire ce que nous croyons être juste, même si nous ne recevons rien en retour ou si dans le pire des cas, le remerciement est qu’on nous « fasse dans la main ».
Si vous n’attendez rien, vous ne pouvez qu’être agréablement surpris. Vous avez donc tout à gagner à ne rien attendre.
Mais tout comme nos principes de pédagogie envers nos enfants, nous sommes très ambivalents envers l’amour. (Cyril Malka)
© 1997 – 2014 – Cyril Malka – Publié en version raccourcie dans Kristeligt Dagblad (Danemark) le 2 septembre 1997 – remanié le 20/10-2014.
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