(22/07-2019) – Dans plusieurs revues spécialisées, qu’elles soient une vulgarisation de la science ou revues professionnelles, on peut régulièrement lire que le cerveau en développement de l’adolescent est la raison principale de leurs problèmes émotionnels et de leur comportement irresponsable.
Ces articles se basent le plus souvent sur des études d’activité cérébrale. Par exemple, auy travers de scans, on peut voir que les adultes et les adolescents n’utilisent pas leur cerveau de la même façon. Mais même si les différentes technologies peuvent nous apporter des informations importantes sur le cerveau, il est dangereux de croire que des photos d’activité cérébrale de certaines régions du cerveau nous donnent des informations fiables pour analyser les raisons de nos pensées, de nos émotions et de nos comportements.
Le fait est que nous savons que le cerveau est modelé par les gènes, oui, mais il est aussi modelé par les influences sociales et aucune des expériences faites jusqu’ici ne peut prouver que l’activité cérébrale des adolescents est à l’origine de leurs problèmes et non le résultat de ces différentes influences. En gros, est-ce que cette différence d’utilisation est la source ou le résultat du problème?
Au contraire, plusieurs données indiquent que l’idée que les problèmes des adolescents viendraient de leur développement cérébral n’est qu’un mythe.
Ce mythe fait partie d’un autre mythe, plus important qui prétend que les adolescents seraient en grande partie incompétents et irresponsables.
Ce point de vue n’est pas nouveau, il a été formulé par le psychologue G. Stanley Hall en 1904 lorsqu’il a publié l’ouvrage « Adolescence ».
Pour définir cette théorie, Hall s’est basé sur une théorie biologique populaire à l’époque… qui s’est montrée fausse par la suite et qui n’est plus utilisée.
Avant tout il faut savoir que Hall, qui était américain, s’est basé sur les ados américains qui vivaient aux États-Unis en pleine révolution industrielle. Il n’a jamais été plus loin que la population américaine lorsqu’il a formé ses théories, et ce parce qu’il car il croyait en ce qu’on appelle la « théorie de la récapitulation ».
La théorie de la récapitulation était une théorie biologique d’après laquelle le développement de l’individu copierait le développement de l’évolution générale de l’espèce. Donc, pour Hall, l’adolescence était une phase « sauvage » ou « une phase pygmée » de l’évolution humaine.
Mais déjà en 1930, la théorie de la récapitulation a été prouvée fausse et abandonnée, mais certains psychologues et une bonne partie du grand public n’en ont jamais rien su.
Pas parce que c’était un secret, mais tout simplement, car les chercheurs n’annoncent pas nécessairement au grand public chaque fois qu’ils reformulent une théorie et que certains psy ne se tiennent plus au courant du développement de leur science une fois qu’ils ont leur diplôme en poche.
Et c’est pour ça que pour beaucoup de personnes (qu’il s’agisse de professionnels ou pas), l’adolescence est nécessairement devenue reliée à des problèmes.
Aujourd’hui, dans la plupart des pays occidentaux, on entend les mêmes signaux de détresse : les jeunes sont de plus en plus jeunes lorsqu’ils commettent des actes criminels et la police est le plus souvent confrontée à des ados ou même des enfants plutôt qu’à des adultes.
D’après plusieurs études américaines, les parents types sont en conflit avec leurs ados en moyenne 20 fois par mois. Ce qui est énorme! C’est presque une fois par jour. Il ne semble pas y avoir d’études analogues en France, mais je connais plusieurs personnes qui pourraient, malheureusement, me donner des chiffres équivalents.
Conflits, utilisation de drogue, d’alcool, le nombre impressionnant de suicides, de dépressions et autres problèmes psychologiques dont sont victimes les adolescents en ce moment dénotent d’un grand mal-être.
Certains lycées de grandes villes ressemblent plus à des systèmes carcéraux (contrôle d’armes, de substances illégales et autres) qu’à des temples du savoir.
Mais est-ce que ces problèmes sont inévitables? Font-ils vraiment partie du quotidien et du développement de l’être humain? Déjà on entend la voix chevrotante du grand-père nous dire : “de mon temps… on n’était pas comme ça! C’est la faute à la télé!”
Pourquoi parler de “si” et de “si”? Il nous suffit de vérifier pour voir si c’est vrai!
Il nous suffit de comparer les adolescents dans différents pays du monde et dans différentes régions. S’il s’il s’agit d’un trouble physique, s’il s’agit d’un développement biologique de l’enfant, on doit pouvoir trouver ces problèmes dans toutes les régions du monde, dans tous les pays du monde, dans toutes les peuplades du monde et dans toutes les sociétés du monde. Logique!
En 1991, l’anthropologiste Alice Schegel, de l’Université d’Arizona et le psychologue Herbert Barry III de l’université de Pittsburgh ont fait des recherches sur les adolescents de 186 sociétés préindustrielles.
Les conclusions de ces études ont été édifiantes.
Par exemple, environ 60 % de ces sociétés n’ont pas de mot pour définir « adolescence ». Cela ne fait tout simplement pas partie de leur vocabulaire. C’est un concept qui n’existe pas. On est enfant puis on devient adulte. Les adolescents passaient la plupart de leur temps avec les adultes et pas avec d’autres adolescents ou avec des enfants. Une fois un rite initiatique quelconque passé, ils deviennent jeunes hommes ou jeunes femmes, ils passent leur temps avec des adultes et ils apprennent à devenir adultes.
Pour ainsi dire, aucun de ces ados ne montrait de signes de psychopathologie ou de comportement antisocial dans plus de la moitié de ces cultures et seulement très peu de symptômes dans l’autre moitié de ces cultures.
Plus significative encore est la série d’études à long terme menées dans les années 80 par les anthropologues Beatrice et John Whiting de l’université d’Harvard.
D’après eux, les troubles de l’adolescence ont commencé avec l’introduction dans les sociétés préindustrielles de l’influence occidentale, spécialement avec l’introduction du système d’éducation occidental ainsi que de la télévision et des films.
La délinquance était un mot inconnu des Eskimos qui vivaient à Victoria Island (Canada) jusqu’au moment où la télé y est apparue en 1980.
Huit ans après l’apparition de la télévision à Victoria Island, en 1988, les Eskimos ont été dans l’obligation d’ouvrir leur premier poste de police afin de gérer ces tout nouveaux problèmes.
Ces problèmes sont également bien connus au Groënland, territoire eskimo sous soutien économique danois (officiellement, le Groënland est autonome, mais repose toujours sur l’économie danoise).
Les différentes œuvres d’historiens sont tout à fait en phase avec ces observations modernes. Pendant des centaines d’années, la transition vers l’âge adulte se passait sans grands problèmes. Les ados n’essayaient pas de « se libérer » et il n’y avait pas de cassure vis-à-vis des adultes, mais ils essayaient de devenir adultes, tout simplement. Les adultes étaient des guides, pas des adversaires.
Le fait de catégoriser un âge comme étant l’âge de « l’adolescence » est, somme toute, assez récent. Il a à peu près 100 ans.
Le docteur Robert Epstein a fait des recherches intensives sur ce phénomène et il a mis ses résultats en rapport avec entre autres des résultats d’études sociologiques, historiques et anthropologiques et il est arrivé à la conclusion que ce problème assez récent est le résultat d’une extension artificielle de l’enfance.
Ce dernier siècle, on a infantilisé les jeunes et on a traité des gens de plus en plus vieux comme s’ils étaient toujours des enfants. On est arrivé à traiter des adultes comme des adolescents aujourd’hui. Pourquoi pas, c’est un marché juteux à souhait!
Les adolescents restent isolés des adultes de plus en plus longtemps, ils n’ont comme modèles que d’autres adolescents, et non des adultes, ils sont surprotégés et traités comme des enfants incapables de gérer quoi que ce soit jusqu’à un âge avancé. On peut voir une relation directe entre les ados infantilisés et les troubles psychologiques.
Les troubles de l’adolescence ne sont pas des problèmes inévitables. Tout porte à penser que ceux-ci ne sont qu’une création de la culture occidentale moderne.
Mais plusieurs chercheurs ont pourtant, en visualisant des photos de cerveaux, expliqué qu’il y avait une différence entre les cerveaux d’ados et les cerveaux d’adultes. Entre autres, les études de Beatrix Luna, qui explique que les ados utilisent les ressources du cortex préfrontal d’une autre façon que les adultes.
Il y a aussi Susan F. Tapert de l’Université de Californie qui a trouvé que les adolescents qui mémorisent utilisent une partie plus restreinte du cortex que les adultes.
Ces travaux pourraient faire penser, au premier abord, qu’il y a vraiment “quelque chose” qu’on pourrait appeler “le cerveau de l’adolescent” jusqu’à ce qu’on y réfléchisse à deux fois et que l’on comprenne deux choses importantes.
La première chose est que la plus grande partie des changements annoncés plus haut ne se produisent pas que lors de notre adolescence. Notre cerveau est en changement constant et les changements lors de l’adolescence font donc partie de ce processus.
Par exemple, Jésus Pujol et ses collègues, à l’université de Barcelone, ont suivi les changements du corps calleux du cerveau (une partie massive qui relie les deux hémisphères du cerveau) sur une période de deux ans sur des individus âgés de 11 à 61 ans.
Ils ont constaté que même si le pourcentage d’augmentation du cerveau diminue avec l’âge, celui-ci continuait d’augmenter d’environ 4 % par an pour les quadragénaires (contre 29 % par ans pour les sujets plus jeunes).
D’autres études indiquent que la matière grise disparaît du cerveau. Cela commence lorsqu’on est enfant et dure une bonne partie de notre âge adulte.
Bref, ces changements sont constants. Le cerveau est en évolution constante.
De plus il n’y a aucune étude qui a été capable d’établir une relation causale entre les propriétés du cerveau et les problèmes que les adolescents peuvent avoir.
Bien sûr, on peut voir que certaines parties du cerveau sont activées lors de certaines émotions et de certains comportements, mais – et ça, on l’apprend en classe de statistiques – corrélation n’est pas cause! C’est-à-dire que le fait qu’une zone soit activée ne veut pas dire que c’est cette zone qui est la cause de l’émotion.
C’est entre autres ce que le neuroscientifique Elliot Valenstein démontre dans son livre « Blaming the Brain » (1998).
D’après lui, nous commettons une grave erreur de logique lorsque nous accusons le cerveau de tout. Surtout lorsque nous ne pouvons nous baser que sur des imageries.
Bien sûr, tout comportement et toute émotion seront réfléchis (ou « codés ») dans la structure du cerveau. C’est-à-dire que si quelqu’un est dépressif, impulsif ou léthargique par exemple, son cerveau sera « connecté » de façon à réfléchir ce genre de comportement. Mais ces « connexions » ne sont pas nécessairement la cause du comportement en question.
Des recherches considérables indiquent que les émotions et les comportements d’une personne changent l’anatomie et la physiologie du cerveau (c’est ce qu’on appelle la « plasticité du cerveau »). Le stress cause une hypersensibilité des neurones qui produisent de la dopamine. Celle-ci continue même si ces neurones sont enlevés.
Les environnements riches en sensations produisent plus de neurones que les environnements pauvres.
Nous savons parfaitement que la méditation, les régimes, l’exercice, les études et pour ainsi dire toute activité mentale changent notre cerveau. Une nouvelle étude démontre que le fait de fumer change notre cerveau de la même façon que celui des animaux à qui l’on a donné de la cocaïne, de l’héroïne ou une autre drogue.
Donc si les adolescents sont en difficulté, nous trouverons bien entendu certaines substances correspondantes à ces problèmes dans leur cerveau. Mais est-ce que ces problèmes ont été causés par le cerveau ou est-ce que ces problèmes ont altéré le cerveau?
Ou est-ce que certains facteurs – comme la façon dont notre culture traite les ados – ont été la cause du problème et de la propriété cérébrale qui a suivi?
Alors si le chaos dans la tête des ados n’est pas inévitable, et si on ne peut pas tenir le cerveau responsable de ces maux, quelle est la solution?
Le fait est que les adolescents sont extrêmement compétents, même s’ils n’expriment que rarement cette compétence.
Les recherches accomplies par le docteur Epstein et Dumas montrent que les ados sont très compétents, et même aussi compétents que les adultes sur une grande variété de situations. De plus, une foule d’études à long terme sur l’intelligence, les habilités perceptuelles et les fonctions mémorielles démontrent que les ados sont souvent supérieurs aux adultes.
La précision visuelle, par exemple, est plus précise lors de l’adolescence. La mémoire incidentelle (le genre qui arrive automatiquement et sans effort) connaît son âge de splendeur à 12 ans, après, celle-ci descend constamment. Lorsque nous arrivons à 60 ans, nous n’avons plus beaucoup de mémoire incidentelle, ce qui est la raison pour laquelle les personnes d’un certain âge connaissent quelques problèmes pour maîtriser les nouvelles technologies.
Les pionniers de l’intelligence, J.C. Raven et Davide Wechsler, en se basant sur différents tests d’intelligence, ont défini que notre intelligence est au meilleur de sa forme lorsque nous avons entre 13 et 15 ans. Elle ne cesse de décliner après cet âge. Même si, bien entendu, l’expertise verbale et certaines formes de jugement sont conservées toute la vie durant.
La taille du cerveau n’est pas non plus nécessairement un bon indicateur pour ce qui est du travail effectué à l’intérieur. En effet, le volume du cerveau est à sa taille maximale lorsque nous avons 14 ans. Lorsque nous arrivons à 70 ans, la taille de notre cerveau a diminué de telle façon que notre cerveau à la même taille qu’il avait alors que nous avions environ 3 ans.
Donc taille et possibilités ne sont pas nécessairement reliées.
Il nous faut repenser la place et le rôle de l’adolescent dans la société.
Aujourd’hui, alors que l’adolescent est prisonnier d’une culture à part, qu’on pourrait appeler “la culture de l’adolescence”, il n’apprend que par des jeunes de son âge plutôt que par les personnes qu’il doit devenir. C’est-à-dire, les adultes.
Il est isolé des adultes et traité comme un enfant. Il n’y a rien d’étonnant à ce que certains adolescents aient une tendance à se comporter comme des enfants irresponsables.
Mais heureusement on peut constater que lorsqu’on traite l’adolescent en adulte, celui-ci change très rapidement dans ce sens et devient rapidement responsable.
Il est temps, grand temps, d’arrêter les frais et ce mythe du cerveau immature de l’adolescent et de commencer à traiter les adolescents comme ce qu’ils sont : des jeunes adultes pleins de possibilités. Des adultes en devenir. (Cyril Malka)
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