Lorsque l’édifice s’écroule

 

(04/03-2014) – N’est-il pas bizarre que les gens qui sont à l’intérieur d’un nouveau mouvement religieux ou d’une secte, comme les Témoins de Jéhovah, continuent à se cramponner à leur foi, même lorsqu’ils peuvent voir que la secte change certains de leurs dogmes et doctrines ? Pourquoi ne quittent-ils pas l’organisation, tout simplement ?

Bien entendu, certains le font. Ils choisissent de partir d’eux-mêmes ou ils choisissent de se laisser expulser.

D’autres deviennent de moins en moins actifs et « suintent », jusqu’à ce qu’ils ne soient plus connus comme étant Témoins de Jéhovah. De cette manière, ils peuvent faire un peu ce qu’ils veulent. Mais ce n’est que quelques-uns qui choisissent cette méthode.

Pourquoi en fin de compte ?

Pourquoi est-ce que les gens continuent à se cramponner à quelque chose alors qu’il est évident que c’est un mensonge ? Pourquoi continuer à être Témoin de Jéhovah lorsqu’on voit que certaines doctrines supposées « fermes comme le roc », comme la doctrine sur 1914 (voir mon article sur le sujet) ou le point de vue sur le service militaire, ont changé de manière aussi outrée ?

Comment est-ce que la Watch Tower Inc. (le nom de l’entreprise qui gère la secte et dont le quartier général est à Brooklyn, U.S.A) peut changer des doctrines de base sans perdre la plupart de leurs membres ?

Lorsque j’ai demandé à des anciens Témoins de Jéhovah pourquoi ils n’ont pas réagi avant, pourquoi ils n’ont rien fait plus tôt, la réponse n’a pas toujours été claire.

La plupart manquent de mots pour expliquer le cheminement de leur pensée. Surtout, ils ne savent pas toujours comment ça a commencé, ou quand.

Souvent, ils ont remarqué des petites choses. Et malgré ça, ils n’ont rien fait.

Ils ont fait comme si, ou ils se sont dit qu’ils se sont trompés ou ont mal compris. De plus, chaque objection contre la secte est sévèrement punie. Donc, on ne prend pas de risque inutile, hein ?

Donc, les choses se sont accumulées jusqu’au jour de la fameuse goutte qui met le feu aux poudres (ou de l’étincelle qui fait déborder le vase, au choix). En tout cas, c’est devenu trop. Un bastion est tombé, une doctrine importante (pour la personne en question), un principe, une compréhension a été violée. Et c’est ce qui mène à faire le premier pas vers l’inconnu.

C’est le cas de certains, oui, mais pourquoi est-ce que des millions d’autres continuent à fermer les yeux ? Quel principe entre en vigueur ? Il doit s’agir d’un principe de base, vu qu’autant de personnes le suivent ? Et dans ce cas… Quel est-il ?

Des principes de base

C’est exact, ce principe est très basique, et il est d’ailleurs utilisé dans plusieurs relations interpersonnelles dont les nouvelles religions et les sectes font partie. C’est le même principe qui se fait valoir chez certains couples.

Il existe des couples, où on continue à se cramponner à une relation qui est sans espoir, sans bonheur, sans intérêt, coûte que coûte. Et on ne comprend que beaucoup plus tard, une fois le temps passé, qu’on s’est accroché à un rêve… Ou à un cauchemar…

C’est également ce principe qui entre en fonction lorsque les gens ont certains préjugés sans pouvoir les justifier. C’est ce même principe qui entre en jeu lorsqu’on se tient à un mensonge plutôt qu’à la vérité, même lorsque le mensonge a perdu sa parure. Même lorsque la vérité ou le rejet du mensonge apparaît de plus en plus logique et vrai, pourquoi se tient-on donc à un mensonge qui a l’air de plus en plus aride, ennuyeux et fragile avec le temps ?

Je vais maintenant utiliser une analogie : imaginons qu’on achète une maison. Assez jolie en fait et chère, mais pas très solide ni durable. Donc il est assez logique, après un certain temps, qu’il y ait des choses qui s’écroulent. On doit faire des réparations, mais comme on n’a pas fini de payer le prêt pour acheter la maison, et qu’on n’a pas suffisamment d’argent, on fait encore un emprunt à la banque.

Avant d’avoir eu le temps de rembourser ce deuxième prêt (et peut-être même toujours l’achat de la maison), d’autres choses s’écroulent. On est donc obligé d’emprunter encore plus… D’autres choses s’écroulent encore… On emprunte plus jusqu’au jour où on se trouve lié à cette maison… En fait, on a tout investi dans cette ruine et on n’a tellement à payer, qu’on ne peut plus en partir. On n’a plus d’autre choix que de faire des petites réparations sur un édifice qui tombe en ruine.

C’est ce qu’on appelle, en psychologie cognitive, les principes d’« accommodation » et d’« assimilation ».

Il nous faut maintenant expliquer des principes de base.

Que l’on soit athée ou croyant, on est arrivé à reconnaître que l’homme est différent des autres animaux.

Ceci, pour plusieurs raisons : d’abord, car nous avons une intelligence, nous percevons les choses, et nous les réutilisons des fois dans des contextes tout autres. De plus, nous évoluons ; nous changeons ; nous apprenons de nouvelles choses, de nouvelles techniques, nous avons un développement. Non seulement de génération en génération, mais dans le courant de notre vie. Nous percevons certaines choses, nous en tirons une expérience et nous les réutilisons.

Nous changeons. Cette faculté est exactement ce qui nous différencie des autres animaux : nous apprenons et nous changeons.

Je ne suis pas le même aujourd’hui que je l’étais hier, à la même heure. J’ai appris quelque chose, j’ai changé. J’ai changé de manière positive ou de manière négative, en bon ou en mal, mais je ne suis plus exactement le même.

Les expériences que j’ai faites ne se sont pas contentées de m’apprendre un nouveau comportement, comme un rat, par exemple. Mais je vais les utiliser dans d’autres situations de la vie également. Je ne vais pas seulement utiliser cette expérience dans ce genre de situation, mais également dans des situations semblables ou même très différentes (c’est ce qu’on appelle le phénomène de la créativité)

L’homme évolue de sa propre manière qui est tout à fait différente de la manière par laquelle les autres animaux évoluent. Les autres animaux évoluent jusqu’au point où ils stagnent.

En tant qu’humain, je suis également en possession d’une qualité spéciale : j’aimerais essayer d’absorber et de contrôler le monde. J’ai également des souhaits et une force de caractère. Dès ma plus tendre enfance, j’ai essayé de contrôler ma part du monde de manière à obtenir ce que je veux.

C’est pour cette raison que je suis pour ainsi dire obligé d’« absorber » le monde : C’est à dire de le percevoir, de le manipuler, d’y trouver ma place, de manière à comprendre mes possibilités aussi vite que possible.

Pour cette raison, je vais essayer de comprendre les règles qui régissent le monde. Il me sera ainsi plus facile de les contrôler, et de là, de contrôler le monde (ou tout du moins les parties que je pourrais contrôler). Et plus vite j’apprends ces règles, le plus rapidement je pourrais contrôler ces règles à mes fins.

Cette évolution est généralement lente. Je ne suis pas le même aujourd’hui à dix-huit heures que j’étais hier à dix-huit heures, mais la différence est généralement minimale ; à moins d’avoir été exposé à un traumatisme quelconque, bien entendu !

Mais si on réfléchit bien. Si on se voit il y a six mois, oui, oui il y a même trois mois : on a beaucoup changé.

Certains points de vue et certaines opinions ne sont plus les mêmes. Certaines choses qu’on n’imaginait jamais qu’on allait dire ou penser, il y a six mois, on les dit ou on les pense aujourd’hui !

Bien sûr, cette évolution va beaucoup plus vite lorsque nous sommes enfants, car nous avons beaucoup plus de choses à apprendre.

Ceux qui sont casés et les autres

Il nous faut donc systématiser le monde, de manière à pouvoir y évoluer. Et ça veut donc dire que nous allons assez rapidement nous faire une image de certaines choses dans notre tête… Une « case », dans laquelle nous allons pouvoir ranger différentes choses, afin de pouvoir systématiser plus facilement, de manière à pouvoir exploiter tout ça.

Il y a maintenant deux problèmes… Le premier est que nous concevons généralement ces cases à partir de nos propres expériences ou à partir de dires de certaines autorités, et ces expériences ne sont pas toujours en harmonie avec la réalité.

Le deuxième problème est que si je on manque de confiance en soi, on aura une tendance à se hâter à ranger les différentes choses dans des cases respectives. Parce que si elles sont catégorisées vite, je me sentirais vite à l’abri.

Moins on est sûr de soi, plus les « boîtes » sont grandes. En gros, plus les généralisations seront vastes et larges.

Si on met les différentes choses en cases, en boîtes, la réalité est moins effrayante.

Donc, on se compose une image de certaines choses dans la tête. On a son image, son idée, son système, et tout va bien.

Jusqu’au moment où il se passe quelque chose dans le monde extérieur qui n’est pas en harmonie avec l’image dans la tête ! Que faire ?

Il y a alors deux possibilités : on peut se dire que l’image dans la tête est fausse, et la changer, ou on peut se dire que le monde extérieur est faux, et enfoncer à coups de marteau le monde dans l’image.

Si on change son image de manière à ce qu’elle corresponde au monde extérieur, on fait une accommodation, une adaptation. Si on force le monde dans son image du monde, on fait une assimilation.

Moins on est sûr de soi, et plus facilement on met les choses en boîtes.

Et plus on a rempli cette boîte, et plus il est difficile de changer ça.

Souvenez-vous que si, au départ, on a forcé quelque chose dans cette case, c’est dû au fait d’un manque de confiance en soi. On ne va donc pas tirer d’expérience de cette situation. Et on ne deviendra pas plus sûr de soi, bien au contraire, on apprend pas à manier la situation, et la prochaine fois qu’une même situation où qu’une situation lui ressemblant arrive, on n’aura aucune expérience. On sera donc obligé de jeter ça dans la même boîte.

Et plus le temps passe, plus on utilise cette technique et plus difficile il devient de démonter cette boîte.

Pensez donc ! On n’osait pas y toucher lorsqu’elle était vide ! Ce n’est pas plus aisé de la changer maintenant qu’elle est pleine ! Lorsqu’on a bâti cinq, six, dix ans de sa vie dessus… Les choses deviennent plus compliquées… Et on finit emprisonné.

Si on attend le jour où la case explose, par exemple le jour où quelque chose ne peut pas entrer dans la case, dans ce cas une bonne partie (ou tout) le monde s’écroule.

Le résultat est presque catastrophique, car en plus de ça, on constate enfin et on comprend l’erreur commise et en plus on voit les erreurs des cinq, dix, vingt dernières années.

On comprend, on ressent, qu’on savait bien à l’intérieur de soi, qu’elles étaient erronées, mais on a ignoré les signaux. Cette combinaison peut pousser les gens dans des situations extrêmes comme le suicide ou bien ils se feront adopter dans d’autres mouvements religieux.

C’est ce qui explique pourquoi tant d’anciens Témoins de Jéhovah se suicident, une fois sortis du mouvement, ou bien joignent un autre mouvement basé sur les mêmes principes. Qu’on l’appelle Église de ceci-cela ou la C.G.T.

Ce sera une autre secte, un autre endroit avec des cases… Des cases un peu plus grandes qui elles aussi, tôt ou tard, sauteront.

C’est généralement ce qu’on voit souvent chez un membre d’une secte : une tendance à mettre les choses dans des cadres bien définis.

Mais, quelle que soit la taille de la case, il s’agit toujours d’une case, et aussi longtemps qu’elle sera là, le problème y sera aussi.

Seulement au travers de la connaissance de soi, de la compréhension, de l’acceptation de soi-même et des autres, et que l’on est pas toujours sans fautes. Seulement au travers de la l’acceptation que nous ne pouvons pas toujours tout diriger. Qu’il y a des choses que nous pouvons changer, et d’autres auxquelles il nous faut nous résigner (et non les fuir !) nous pourrons diriger ce petit morceau de la réalité que nous avons reçu en partage.

Lorsqu’on ne peut plus réparer la maison, il vaut mieux admettre qu’on a fait une erreur et déménager le plus vite possible, en possession de l’expérience nécessaire. On a maintenant plus d’expérience pour l’achat d’une maison, plutôt que d’essayer de réparer une illusion.

© 1998 – 2014 – Cyril Malka (Article présenté et étudié à la Conférence Nordique de la Problématique des Sectes – Modum Bad – Norvège – août 1998). Restructuré et mis à jour en 2014.

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