Dépression, scarification et faire son deuil

Bonjour, Cyril,

Ma fille a 21 ans et en dépression importante depuis 2 mois (elle a commencé à se scarifier vers 16 ans, et est encore parfois dans la rechute). Elle est épuisée, ne veut plus vivre, mais me dit être trop lâche pour se suicider (gloups …).

Elle passe son temps entre émotions très hautes d'hyper excitation à émotions très basses de détresses, elle n'a aucune régulation de ses émotions, elle n'a pas de “milieu”. Elle se reconnaît beaucoup dans les vidéos de HPE (Haut Potentiel Émotionnel), mais n'est pas sûre d'en faire partie.

À côté de cela, elle a beaucoup d'amis, est extrêmement active en associations variées, et suit brillamment des études d'ingénieur (en 4e année).
Elle vient enfin de voir un psychiatre hier (après deux tentatives d'échec avec des psychothérapeutes ces dernières années) qui lui dit qu'elle doit suivre une psychothérapie pour le deuil de son père (décédé lorsqu'elle avait 1,5 an) et le deuil de sa mère dépressive (moi-même !) pendant quelques mois à la suite de l'accident du père, il y a donc 20 ans. Elle est sortie en pleurs, pensait être débarrassée de ce deuil, ne veut pas y replonger, elle pense ne pas pouvoir s'en sortir, elle pense que le problème n'est pas là. Elle attendait une solution courte.

Ma question est simple. Une psychothérapie de deuil d'une période de la vie dont la personne ne se souvient même pas aboutit-elle en général ?

Questions annexes : Quelles sont les statistiques de réussite de ce type de psychothérapie ? N'est-ce pas vain ? Comment savoir si le problème n'est pas ailleurs que ces deux deuils (par exemple son hyper sensibilité ?)

En tout cas, merci pour vos podcasts, je suis une grande fan … je les attends toujours avec impatience.

Cordialement,

Marie


Bonjour, Marie,

Avant tout, tout dépend de ce qu'on appelle “faire son deuil” et ce qu'on entend par une “psychothérapie de deuil”. “Faire son deuil” est une expression fourre-tout qui ne veut pas dire grand-chose. Les psys ne mettent pas toujours la même chose dans cette expression. Donc, tout dépend de ce que le psychiatre entend par là.

Je ne comprends par exemple pas ce qu'il veut dire par “faire le deuil d'une mère dépressive”… Vous n'êtes pas morte, que je sache (où alors il va falloir que j'ajoute “médium” à mon profil professionnel…).

Le problème est qu'en France, c'est le seul pays avec l'Argentine (que je sache) qui utilise toujours à ce point les méthodes freudiennes. L'idée de base étant de revenir dans le passé et de revivre, ou analyser certaines histoires du passé pour les rendre conscientes et se les réapproprier en quelque sorte.

Est-ce que ça marche?

D'après Freud, non! Si vous lisez Freud et le travail qu'il a fait avec ses patients, il n'en a pas guéri un seul.

En aurait-il guéri et il ne l'aurait pas écrit? Possible, mais peu probable. Si ça avait été le cas, je pense qu'il aurait été logique qu'il le décrive, non?

Il y a sûrement eu des gens qui sont allés mieux après une psychanalyse, mais la raison n'est pas celle que l'on croit.

Prenons une personne qui a un problème donné (peu importe lequel) et qui suit une psychothérapie où on revient dans le passé et où on analyse certaines choses.

Arrive un moment où on touche du doigt la raison première, ou la première scène ou le premier souvenir qui, d'après cette personne, a démarré tout ça.

Arrive un moment où le patient va se dire: “Ha! Okay! Ce n'est que ça? Je n'ai donc plus de raison de revivre cette chose.”

Et le patient va changer sa façon de voir et de comprendre les choses.

En psychologie cognitive, c'est exactement ce avec quoi on travaille: Voir la façon dont le sujet conçoit les choses, les comprend, et régit par rapport à elles et on l'aide à changer la façon de penser et de ressentir (donc les émotions qui en découlent.) Mais pour ce faire, on n'a pas besoin de passer plusieurs années à connaître le début. Ça, on s'en fout, en fait. Peu importe pourquoi et comment ça a commencé. Le fait est que c'est là et qu'il faut le travailler.

Ça par contre, on a des statistiques. On sait que la psychologie cognitive fonctionne bien et mène à des résultats que l'on parle d'angoisses, de dépression, d'addiction ou autre.

Mais pour ce qui est de la psychothérapie basée sur les retours en arrière… Il n'y a, que je sache, aucune statistique. Ces psys n'aiment pas trop qu'on parle chiffre, car ce serait “banaliser” leur noble profession que d'en faire quelque chose qui doit mener à des résultats.

Personnellement, je dirais qu'une “psychothérapie de deuil” avec retour en arrière serait une perte de temps, d'argent et d'énergie. Plutôt que de perdre du temps dans le présent à mariner dans le passer, autant travailler les situations actuelles et avancer. Son présent d'aujourd'hui est son passé de demain, alors pourquoi perdre son temps à barboter dans le passé?

Le plus souvent, le problème des jeunes qui se scarifient peut avoir plusieurs raisons, ça peut être une façon de se désamorcer une douleur émotionnelle (la douleur physique prend la place de la douleur émotionnelle et elle peut être ensuite ‘guérie' ou ‘adoucie' alors que la douleur émotionnelle, c'est plus difficile), ou parce qu'ils se sentent “anesthésiés” à l'intérieur et veulent ressentir quelque chose, ou ça peut être une forme de communication… Ou tous les trois à la fois ou alternativement…

Bref, il peut y avoir une foule de raisons.

Ensuite arrive une addiction à ce phénomène.

Il y a des chances pour que votre fille, en effet, ait des difficultés à gérer les émotions. Mais ça s'apprend parfaitement et nul besoin de revivre le passé pour apprendre à gérer sa vie émotionnelle.

Je suis heureux que vous appréciiez mes podcasts. Merci de m'écouter.

Bon courage à vous deux.

Amicalement,

Cyril

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