Sommeil et cartographie du corps

(19/08-2014) – Les mouvements oculaires rapides lors du sommeil paradoxal sont peut-être dus au système nerveux qui est en train de faire une cartographie du corps.

Les bébés ne contrôlent pas très bien leurs corps. On peut voir comment ils battent des bras et des jambes et l’on peut voir que cela leur prend du temps à apprendre à contrôler leurs muscles. Ils sont comme des marionnettistes qui doivent apprendre quels fils tirer pour déplacer les différents membres et la grande quantité de muscles dont ils sont composés.

Les enfants doivent apprendre quels neurones sont reliés à quelles fibres musculaires.

C’est un énorme travail et l’on ne sait toujours pas aujourd’hui comment cela se fait exactement, mais la nouvelle recherche porterait à penser que ceci arrive lorsque l’enfant dort.

C’est ce que suggère Mark Blumberg, un professeur à l’université d’Iowa.

D’après lui, le temps passé à dormir est utilisé par notre système nerveux afin de faire une cartographie de la relation entre les muscles, la moelle épinière et le cerveau.

Lorsqu’il est éveillé, le cerveau de l’enfant est bombardé par des stimulations sensorielles et par les signaux des muscles qui annoncent au cerveau où ils se trouvent (c’est ce qu’on appelle l’information proprioceptive).

Lorsqu’on fait un mouvement avec un bras, par exemple, ceci demande que plusieurs centaines de fibres musculaires coopèrent et travaillent ensemble et toutes ces informations se rejoignent dans le cerveau.

Un enfant qui apprend à faire ce mouvement peut avoir besoin d’avoir la possibilité de déplacer une fibre à la fois de façon à relier chaque fibre de muscle à sa cellule nerveuse correspondante ainsi que de tracer son chemin jusqu’au cerveau.

L’état de sommeil, qui est relativement inactif, offre cette possibilité.

Les contractions font partie de la cartographie humaine

L’hypothèse des chercheurs est que les contractions musculaires caractéristiques du sommeil dit « paradoxal » du sommeil R.E.M. (Rapid Eye Movement – Mouvements oculaires rapides) est le résultat d’un tel test de système. Les bébés tracent des nouvelles connexions à l’aide de ces contractions alors que les adultes les utilisent à fins de maintenance.

Le laboratoire de Blumberg a constaté en observant le sommeil des nouveaux-nés des rats de laboratoire, que ceux-ci passaient environ 70 % de leur temps de sommeil à avoir des contractions musculaires. De plus les jeunes rats ont plus de contractions que les rats adultes, peut-être parce que les corps des jeunes rats changent et se développent très vite et demandent constamment de nouvelles connexions.

Il faut savoir que même si nous savons qu’il est très important de dormir, nous ne savons toujours pas en quoi c’est important ou comment le sommeil fonctionne vraiment. La recherche de neuropsychologie nous donne une image de plus en plus précise de ce phénomène qui est si important qu’il est effectué par toute espèce animale connue et étudiée jusqu’ici.

Les recherches de Blumberg ne sont pas les seules dans ce domaine et ces résultats sont confirmés par deux autres groupes, un en Suède, l’autre en France. Ceux-ci ont découvert que le cerveau répond au contractions musculaires en ayant une pointe d’activité ce qui pourrait signifier que l’animal enregistre une nouvelle information de développement physique.

Contractions

Non seulement nous avons des contractions musculaires et des mouvements oculaires mais en plus, nous rêvons. C’est, entre autres, ce qui a porté les chercheurs d’antan à croire que les yeux qui se déplacent sous les paupières recherchent une vision ou que les pattes du chien qui remuent sont les pattes de l’animal qui poursuit le lapin.

Mais déjà en 1994, dans le tome 6 de Behavioral Neuroscience, Blumberg a publié une étude invalidant ces idées en démontrant que les signaux qui causent les contractions musculaires viennent de la moelle épinière et non de la partie du cerveau occupée par le rêve.

Maintenant, il est, bien entendu, possible que si les contractions sont si violentes qu’elles risquent d’éveiller l’animal, celui-ci composera un rêve afin de préserver son sommeil.

Adèle Seelke, dans European Journal of Neuroscience a été plus loin, elle a trouvé que les mouvements oculaires lors du sommeil étaient le résultat du même genre de contraction musculaire que celles qui sont exécutées par les autres muscles du corps lors du sommeil.

Ces mouvements, même s’ils ne viennent pas des rêves, ont un rôle important à jouer lors du développement de l’enfant.

On ne peut que s’en douter lorsqu’on voit le temps de sommeil que les enfants utilisent à avoir des mouvements oculaires.

Les nouveaux-nés dorment environ 75% de la journée et ils ont une forte tendance à avoir des spasmes et des mouvements nerveux lors de leur sommeil. Seelke note la même tendance chez les rats de laboratoire.

Dans les expériences menées par Seelke, on constate que les jeunes rats jusqu’à trois jours d’âge ont des contractions plus nombreuses et plus intenses que les jeunes rats de 8 jours d’âge qui ont eux-mêmes moins de contractions que les jeunes rats de 15 jours d’âge.

Apprendre en dormant

Les chercheurs de l’université de Lund, dirigés par le professeur Per Petersson, en Suède ont étudié le sommeil des jeunes rats de laboratoire et leur ont même appris des tours lors de leur sommeil. Ce qui n’a fait que confirmer les recherches.

L’article a paru dans Nature 424, no 6944 pages 72-75.

Petersson et ses collègues ont en effet entraîné des rats à déplacer leur queue vers une source de chaleur plutôt que de l’éloigner de la source de chaleur. Ils ont appris cette manœuvre aux rats lors des contractions pendant leur sommeil.

Les chercheurs ont pris 84 rats âgés de 12 à 17 jours les ont divisés en deux groupes et les ont laissés s’endormir. Logiquement, si on approche la queue du rat à une source de chaleur, par exemple sur le côté gauche, la queue se déplace vers le côté droit.

Pour l’un des groupes, lorsque la queue du rat se déplaçait vers la gauche, les chercheurs ont, à l’aide d’un petit appareil, soufflé sur la queue du rat de façon à ce que celle-ci se déplace vers la droite. De même, lorsque la queue se déplaçait vers la droite, ils utilisaient l’appareil soufflant afin de déplacer la queue vers la gauche. Ceci afin d’apprendre aux rats un comportement contraire.

Ainsi, lorsque leur cerveau penserait “ déplacer la queue vers la droite ”, les nerfs la déplacerait vers la gauche.

Après à peine deux heures d’entraînement, les rats avaient appris le mauvais réflexe et lorsqu’une source de chaleur touchait un des côté de leur queue, ils la déplaçait vers la source de chaleur plutôt qu’à bonne distance de cette source de chaleur.

Ce comportement allait à l’inverse du groupe de contrôle.

Tout porte à croire que les réflexes, tels celui de s’éloigner d’une source de chaleur, sont appris lors de ces contractions musculaires pendant notre sommeil.

Notre système nerveux apprend

Les mouvements spontanés des rats sont aussitôt suivis par une activité cérébrale accrue, une réaction.

Gyorgy Buzaski, professeur de neurosciences à l’université de Rutgers (New Jersey) suppose que l’activité cérébrale qui suit la contraction musculaire est un enregistrement de l’information. On peut constater le même comportement et le même système d’enregistrement chez les nouveaux-nés humains et chez les nouveaux-nés des rats de laboratoire.

De plus, Buzaski et son équipe ont remarqué que l’activité cérébrale était située dans le cortex somatosensoriel, qui est la partie du cerveau servant à la cartographie du corps.

Cortex somatosensoriel

Les bébés et les enfants travaillent afin de faire une cartographie de leur corps, de leurs muscles et de leurs réflexes. Chez les adultes, ce travail est à peu près fini et l’on pourrait se demander pourquoi les adultes ont également quelques contractions.

On ne connaît pas la raison exacte. Ce sont peut-être des ajustements. Eventuellement si certaines parties du corps ont été traumatisées.

Si l’explication est bonne, et tout porte à croire, pour l’instant, qu’elle l’est, cela pourrait nous expliquer bien des choses :

– Pourquoi les enfants qui ne dorment que peu (comme les enfants souffrant d’hyperactivité par exemple) ont également des problèmes de contrôle moteur.

– Pourquoi lors d’une privation de sommeil REM, nous avons des problèmes de coordination. Et comment nous en venons à faire ou dire autre chose que ce que nous voulons sous l’emprise de la fatigue.

Mais pour l’instant, la recherche en est toujours à ses balbutiements et nous avons encore beaucoup de choses à apprendre. (Cyril Malka)

© 2006-2014 – Malka

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